Posté par Bacari Koné et Abdoulahi Mfombouot
Le Conseil des Ministres de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC)[1] a adopté le 19 Décembre 2011, six directives rénovées visant à harmoniser le cadre juridique de la gestion des finances publiques dans ses Etats membres.
Depuis quelques années la CEMAC s’est engagée dans une dynamique d’harmonisation des systèmes de gestion des finances publiques de ses Etats membres à travers l’adoption de directives couvrant les domaines-clés du système de gestion des finances publiques (GFP). Cette initiative, qui s’inspire de l’expérience de l’UEMOA,[2] vise à moderniser et rendre plus transparents les systèmes de gestion des finances publiques et à assurer une plus grande comparabilité des données financières publiques et donc un meilleur suivi des politiques économiques, budgétaires et financières des Etats membres.
L’UEMOA a pris de l’avance car elle a adopté ses premières directives en 1997 et 1998 puis, au regard des bonnes pratiques et des normes internationalement admises, les a révisées et modernisées en 2009 avec l’appui du Fonds Monétaire International (FMI).
Du côté de la CEMAC, les premières directives ont été adoptées en 2008. A l’instar de l’UEMOA, le Conseil des Ministres de la CEMAC a adopté en Juin 2008, cinq (5) directives directement applicables dans les Etats membres et destinées à harmoniser le cadre juridique et les procédures de gestion des finances publiques dans lesdits Etats. Il s’agit de :
(i) la directive no. 01/08-UEAC-190-CM-17 relative aux lois de finances ;
(ii) la directive no. 02/08-UEAC-190-CM-17 portant Règlement général sur la comptabilité publique ;
(iii) la directive no. 03/08-UEAC-190-CM-17 portant Nomenclature budgétaire ;
(iv) la directive no. 04/08-UEAC-190-CM-17 relative aux opérations financières de l’Etat ; et
(v) la directive no. 05/08-UEAC-190-CM-17 relative au Plan comptable de l’Etat.
Cependant, ces cinq premières directives adoptées en juin et décembre 2008, n’ont jamais connu un début demise en œuvre faute d’un programme d’accompagnement conséquent des Etats, mais aussi en raison d’un certain nombre d’insuffisances ou d’incohérences internes. Aussi, à la suite d’une évaluation de ces directives par le FMI en Août 2009,[3] la Commission de la CEMAC s’est- t- elle résolu à repartir sur des bases plus solides en adoptant une approche de coopération avec les Etats membres et de dialogue avec les PTF pour la relecture des dites directives.
La révision des directives a impliqué aussi bien les Etats membres que les partenaires techniques et financiers.
En 2009, la Commission de la CEMAC a saisi le département des finances publiques du FMI (FAD) d’une demande formelle d’assistance technique pour la relecture des directives et l’élaboration de plans d’actions spécifiques par Etat en vue de leur mise en œuvre dans les Etats membres. FAD a donc été fortement impliqué dans l’assistance technique (AT) à la CEMAC avec la participation d’AFRITAC Centre (AFC) pour l’évaluation puis la relecture des directives du cadre de GFP à travers la proposition d’avant-projets de textes révisés et la participation aux ateliers de discussions et de validation des projets de textes révisés avec les représentants de haut niveau de tous les Etats membres dans le cadre du Comité Sous-Régional des experts en GFP.[4]
Une première mission conjointe FAD/AFRITAC Centre à Bangui en septembre 2010 a permis de définir les objectifs, les options fondamentales et la feuille de route de la relecture des directives ainsi qu’un plan d’action[5] pour leur mise en œuvre dans les Etats membres. La relecture des directives visait les trois objectifs principaux suivants :
- faire un toilettage technique des directives en vue d’éliminer les coquilles, incohérences et insuffisances relevées ;
- mettre les directives en conformité avec les standards internationaux en veillant à la pertinence et à l’applicabilité des références internationales aux pays de la sous-région et après, le cas échéant, les avoir adaptés aux spécificités institutionnelles et administratives de chaque pays ; et
- définir les modalités d’une mise en œuvre progressive et adaptée des directives en vue de garantir le succès des réformes envisagées.
Sur la base de ces objectifs, des options techniques de modernisation ont été arrêtées pour chacun des cinq thèmes relatifs à la politique budgétaire, à la budgétisation, à l’exécution des budgets, à la comptabilité et au contrôle de l’exécution budgétaire. Il a été aussi décidé d’adopter une sixième directive relative au Code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques afin de marquer l’engagement des Etats membres de la CEMAC à renforcer la transparence dans la gestion des ressources publiques.
Les directives rénovées de la CEMAC préconisent des réformes d’envergure
Les directives en matière de gestion de la dépense publique, ensemble avec celles relatives à la politique fiscale, constituent une composante essentielle de la volonté des pays de la CEMAC d’améliorer la conception et la gestion de la politique budgétaire dans le but de renforcer les bases de la politique monétaire et de la monnaie commune. En particulier, elles visent les principaux objectifs suivants :
- Aligner le système des finances publiques sur les bonnes pratiques et les normes internationales;
- Harmoniser les règles de préparation, de présentation, d’approbation, d’exécution, de contrôle et de reporting du budget de l’Etat dans tous les Etats membres ;
- Promouvoir une gestion efficace et transparente des finances publiques dans tous les Etats membres ;
- Permettre la comparabilité des données des finances publiques pour une surveillance multilatérale efficace des politiques budgétaires nationales ;
- Promouvoir le processus d’intégration en Afrique centrale.
Au total, ces directives introduisent un certain nombre d’innovations dont les principales sont présentées dans l’encadré 1 ci-après.
La mise en œuvre des directives s’inscrit dans une démarche graduelle et séquentielle
Les Etats membres disposent d’un délai de deux ans pour assurer la transposition des directives dans leur droit national respectif. L’entrée en vigueur complète de toutes les dispositions de modernisation introduites par les directives ne se fera que de manière progressive selon un calendrier qui s’étale sur une dizaine d’année.
Le calendrier d’adoption et de mise en œuvre des directives se présente comme indiqué dans le schéma ci-après.
LES CONDITIONS DE REUSSITE DE LA MISE EN ŒUVRE DES DIRECTIVES CEMAC
La réussite de la mise en œuvre des directives de la CEMAC requiert un certain nombre de conditions préalables aussi bien au niveau de la Commission de la CEMAC que des Etats membres.
A. Au niveau de la Commission de la CEMAC
Une plus grande adhésion des autorités politiques des Etats membres aux enjeux et aux défis de la démarche communautaire en matière des finances publiques est impérative. Sans cette adhésion forte, la mise en œuvre des directives dans les Etats membres ne pourra être que compromise quels que soient les efforts déployés au niveau de la Commission de la CEMAC.
La création au sein de la Commission de la CEMAC d’une direction spécifique dédiée aux finances publiques, àl’image de celle de l’UEMOA, devra constituer une des actions prioritaires en vue de faciliter le pilotage de la mise en œuvre. Cette direction serait composée des cadres chevronnés dans les différents domaines des finances publiques et serait ponctuellement appuyée par le comité d’experts en gestion des finances publiques constitué en octobre 2010. Ainsi étoffée, cette direction des finances publiques assurerait le suivi et l’évaluation du plan d’action pour la mise en œuvre des réformes et en rendrait compte au Conseil des ministres en qualité de secrétariat technique.
La mise en place d’un véritable mécanisme d’évaluation des Etats membres par les pairs permettrait de garantir que les directives ne resteront pas lettre morte dans certains Etats membres comme l’ont déjà été d’autres textes de la CEMAC. Cela permettra de ne pas briser la dynamique communautaire dans un domaine aussi vital que les finances publiques.
La maitrise d’œuvre est un facteur essentiel pour la mise en œuvre satisfaisante des directives. A cet égard, il est important pour la commission de la CEMAC de se déterminer d’ores et déjà sur l’institution/les institutions (FMI, AFRITAC Centre, Banque mondiale, BAD, PNUD, UE, coopération bilatérale, etc.) chargée(s) du contrôle qualité de tout ou partie des travaux réalisés dans le cadre de cette réforme communautaire. Elle pourrait à cet égard s’inspirer de l’expérience de l’UEMOA en confiant un thèmatique à un ou deux partenaires (les guides, la formation, les systèmes d’information, etc.)
La mise en œuvre effective du plan d’action communautaire d’appui et d’accompagnement des Etats pour la mise en œuvre des directives adopté en Octobre 2010 et qui comporte, entre autres, des programmes de communication et de renforcement des capacités dans les Etats. A cet égard,et par-dessus tout, le nerf de la guerre reste l’élément le plus déterminant dans cette initiative. L’ampleur des besoins que dégage le plan d’action CEMAC pour la mise en œuvre des directives rend incontournable la définition, en liaison avec les PTF intervenant dans le domaine de l’intégration régionale, d’une stratégie appropriée de financement dans la durée.
A cet égard, il conviendrait tout d’abord de rédiger un document de plaidoyer pour la recherche des financements auprès des bailleurs et de convenir avec l’ensemble des PTF d’une plate forme de partenariat et de dialogue, afin d’offrir un cadre de discussion sur les différents appuis et la conduite des réformes induites par les directives.
La production et diffusion, dans les meilleurs délais, de guides d’application de chacune des directives pour faciliter leur transposition harmonisée puis leurs mises en œuvre est une priorité.
B. Au niveau des Etats membres de la CEMAC
Des dispositions doivent être prises dans chaque Etat membre pour faciliter la mise en œuvre des directives selon le chronogramme arrêté par la Commission de la CEMAC. Car en réalité, il ne sert à rien d’adopter des directives communautaires si celles-ci ne peuvent pas être appliquées par les Etats membres. On pourrait notamment penser, pour commencer, à l’adoption dans les meilleurs délais des chronogrammes et la mise en place d’équipes techniques autour des experts nationaux en gestion des finances publiques pour la transposition des directives dans les délais fixés par les directives, une campagne de sensibilisation et de communication relatives à la mise en œuvre des nouvelles directives, etc.
La conduite des réformes doit également faire l’objet d’une attention particulière. Les réformes devront s’inscriredans le cadre d’une stratégie nationale assortie d’un plan d’actions de réforme des finances publiques propre à chaque Etat, en ligne avec la stratégie communautaire et tenant compte de l’état des lieux et des capacités institutionnelles. De même, leur pilotage nécessitera que soient mises en place un cadre institutionnel de haut niveau de gestion de la réforme et un cadre de partenariat avec les PTF du pays. Bien entendu, cela ne suffit pas à garantir la réussite de la réforme; il existe d’autres préalables, entres autres, le soutien politique, la disponibilité des ressources humaines de qualité et des ressources financières, l’implication de tous les acteurs des finances publiques y compris les parlementaires, la société civile et les universitaires.
Les références des nouvelles directives sont les suivantes:
Code de transparence et de bonne gouvernance : Directive no. 06/11-UEAC-190-CM-22
Lois des finances : Directive no. 01/11-UEAC-190-CM-22
Règlement général sur la comptabilité publique : Directive no. 02/11-UEAC-190-CM-22
Nomenclature budgétaire de l’Etat : Directive no. 04/11-UEAC-190-CM-22
Plan comptable de l’Etat : Directive no. 03/11-UEAC-195-CM-22
Tableau des opérations financières de l’Etat : Directive no. 05/11-UEAC-190-CM-22
Elles sont disponibles sur le site internet de la CEMAC.
CONCLUSION
Les nouvelles directives représentent une amélioration considérable qui rend le cadre légal et réglementaire de la gestion des finances publiques dans les pays membres de la CEMAC très proche des bonnes pratiques et normes internationales en la matière. Elles contiennent une période de transition de huit à dix ans permettant une mise en œuvre progressive de toutes leurs dispositions.
La Commission et les Etats membres ont compris les difficultés, défis et conditions de succès de la mise en œuvre des nouvelles directives et ont, en toute connaissance de cause, adopté, dès Octobre 2010, un plan d’action pour leur mise en œuvre dans les Etats. Il s’agit d’un plan ambitieux d’assistance et d’accompagnement des Etats qui comporte, entre autres, pendant la période de transition, des programmes de communication, de renforcement des capacités, de suivi-évaluation et surtout d’études diagnostiques des systèmes de GFP des Etats en vue de mettre en place des plans d’actions spécifiques par Etat tenant compte de l’état des lieux et des capacités institutionnelles. La Commission et les Etats membres ont donc insisté sur l’assistance technique et financière des bailleurs de fonds (partenaires techniques et financiers) pour les aider à financer ce plan d’actions dont la mise en œuvre est une des conditions de succès de la mise en œuvre des nouvelles directives.
[1] Elle comprend les six (6) pays suivants : Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad.
[2] Union Economique et Monétaire Ouest Africaine regroupant huit (8) pays de la région (Benin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo).
[3] FMI (FAD): “Analyse des directives de la CEMAC”; Août 2009.
[4] Créé à cet effet par le Conseil des Ministres de la CEMAC du 28 Octobre 2010 (Règlement no. 05/10-UEAC-190-CM-21), le Comité sous-régional d’experts en GFP est composé de trois hauts fonctionnaires représentants de chaque Etat membre ainsi que des experts de la BEAC, de la BDEAC et de la Commission/CEMAC.
[5] Le plan d’action comporte 7 programmes : P1: Relecture des directives ; P2 : Dissémination des directives révisées et adoptées ; P3: Renforcement des capacités des acteurs ; P4 : Traduction des directives dans les droits nationaux ; P5 : Suivi/évaluation de la relecture et de la mise en œuvre; P6 : Mise à niveau des systèmes d’information, P7: Appui à la mise en œuvre des réformes dans les Etats membres.
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