France : Le « central » contre le « local » : un faux débat, un réel enjeu
Michel BOUVIER, Professeur de Finances publiques et Fiscalité à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne ; Directeur de la Revue Française de Finances Publiques ; Président de FONDAFIP. michel.bouvier@fondafip.org
Il faut le rappeler : annonciatrices d’une crise profonde et de longue durée, les difficultés économiques de la seconde moitié des années 1970 avaient conduit à appréhender l’Etat comme un problème et les collectivités locales comme une solution. Celui-ci qui avait été magnifié pendant « les 30 glorieuses » s’est alors trouvé frappé de discrédit à l’instar de toutes les grandes structures publiques et privées, le slogan « Small is beautiful »[1]s’étant répandu dans le monde comme une trainée de poudre. On assista alors à une revanche du local sur le central. Un processus de responsabilisation des acteurs locaux commença à voir le jour en France sur la base d’une mise à disposition de fonds globaux (globalisation des prêts et des subventions) autrement dit d’une autonomie de décision en matière de gestion financière. Ce processus s’est ensuite poursuivi en 1980 par l’autorisation accordée aux assemblées délibérantes des collectivités locales de voter les taux des impôts. C’est ainsi qu’à l’autonomie de gestion est venue s’ajouter une autonomie de décision fiscale, les lois de décentralisation de 1982/1983 ont ensuite couronné ce mouvement d’émancipation des collectivités territoriales.
C’est alors qu’au cours de la seconde moitié des années 1970 a commencé à se dessiner d’abord sur le plan intellectuel, puis dans les faits, un processus de profonde transformation de l’Etat et disons le sa métamorphose, ce processus tendant à conférer une place essentielle à l’autonomie financière des collectivités locales. Il s’est produit un déplacement de la sphère économique vers la sphère administrative et politique avec pour objectif une organisation décentralisée de la société, celle-ci étant posée non seulement comme une voie vers le renouveau économique mais aussi comme le moyen de répondre à la crise des finances publiques d’alors. C’est ainsi, qu’au cours d’un processus ininterrompu de trente années, on a pu assister à un mouvement continu de déconstruction puis de reconstruction de l’Etat.
Toutefois, à l’inverse de ce mouvement, le développement de la globalisation accentué par la crise récente et l’aggravation considérable du déficit et de l’endettement publics a amené ces dernières années à reconsidérer l’action de l’Etat comme pertinente et indispensable[2] et particulièrement le pilotage du pouvoir financier local. Mais ce serait se méprendre sur cette évolution que d’y voir une forme banale de retour de l’Etat. En réalité, cette « aspiration vers le haut» du pouvoir financier procède d’un seul et même objectif qui est une mise en cohérence d’un système national et international à multiples acteurs.
Dans ce cadre conceptuel et matériel nouveau l’autonomie fiscale locale est susceptible d’apparaître anachronique, ce qui, par voie de conséquence, pourrait entraîner une autre conception de l’autonomie financière locale. A première vue s’il semble en effet aller de soi que celle-ci s’entend de l’association de la liberté de gérer librement les fonds et d’un certain pouvoir de décision au regard d’impôts propres, de fait, on ne s’est jamais clairement interrogé sur la possible dissociation entre autonomie de gestion et autonomie fiscale. Jusqu’à une période très récente il existait un sens commun implicite qui s’est trouvé brouillé à l’instar de nombre de concepts financiers publics du fait des transformations nationales et internationales qui se sont produites dans ce champ[3]. Il faut encore y ajouter que depuis les années 1980 se sont démultipliés des allègements de la fiscalité locale qui ont progressivement abouti à faire disparaître des pans entiers de celle-ci et donné lieu à des compensations financières de la part de l’Etat[4] qui se sont progressivement transformées en dotations sans pouvoir masquer la décadence de l’autonomie fiscale locale. C’est pourtant dans ce contexte de disparition progressive de la fiscalité locale qu’a été proclamé, dans le cadre d’une révision constitutionnelle en 2003, un principe d’autonomie financière qui semblait ancré dans l’autonomie fiscale locale. Or ce ne pouvait être qu’un rendez-vous manqué, une illusion compte tenu de l’état du système fiscal local.
En réalité dans ce nouveau cadre, l’autonomie financière peut se définir comme une autonomie de gestion assortie d’une autonomie fiscale limitée, sachant que l’on peut se demander s’il peut vraiment en être autrement. Chacun a bien conscience aujourd’hui que les difficultés financières de l’Etat se sont accentuées, en particulier avec un endettement public sans précédent et qu’il est vital de maîtriser les finances publiques. Face à un tel constat il est par conséquent nécessaire d’adopter une conception non pas re-centralisatrice mais intégrée des finances publiques (Etat, collectivités locales, sécurité sociale) et d’en tirer les conséquences pratiques. Il s’agit d’instituer des dispositifs de mise en cohérence du système financier public permettant de dégager une logique commune d’évolution des dépenses et des recettes. Autrement dit, il apparaît désormais que l’autonomie financière locale ne peut plus être envisagée qu’intégrée au sein d’une gouvernance financière publique entendue d’une façon globale.
On l’a compris, ce n’est pas uniquement sur le plan des techniques financières ou fiscales mais aussi sur le terrain institutionnel, celui d'une reformulation partenariale du processus de décision financière, que devrait se jouer l'essentiel. D’une manière générale, c’est la pertinence de l’organisation des systèmes financiers publics qui est en cause. Conçus dans des contextes économiques, sociaux, politiques, largement différents de ceux d’aujourd’hui ils ne sont plus adaptés aux enjeux d’une société en perpétuelle recherche d’équilibre. Des enjeux d’ampleur car il s’agit d’organiser et d’assumer le pilotage et la maîtrise du développement de sociétés complexes à travers non seulement la maîtrise de la dépense publique mais plus encore la réorganisation du processus de décision fiscale et du partage de l’impôt. Au final, la question est d’essence fondamentalement politique d’autant plus qu’elle concerne une composante essentielle du pouvoir, le pouvoir fiscal.
[1] Il s’agissait du titre d’un ouvrage publié pour la première fois en 1973 par E.F. Schumacher, un économiste britannique.
[2] « La principale de nos conclusions est que la croissance indispensable pour faire reculer la pauvreté et assurer un développement durable réclame un Etat fort ».(in rapport de la commission internationale Croissance et développement du 22mai 2008).
[3] Cf. M. Bouvier, M.-C. Esclassan, J.-P. Lassale, Manuel de Finances publiques, 10e éd., LGDJ, 2010.
[4] C’est alors que l’on a commencé à qualifier l’Etat de « premier contribuable local ». En fait pour être exact il s’agit d’une substitution du contribuable national au contribuable local.
Note: The posts on the IMF PFM Blog should not be reported as representing the views of the IMF. The views expressed are those of the authors and do not necessarily represent those of the IMF or IMF policy.
Comments