Comment rendre responsables les gestionnnaires publics? Le rôle des juges specialisés dans les pays francophones et lusophones.
Posté par Guilhem Blondy
“La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration”, déclare l’article 15 de la Declaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 aout 1789. Plus de deux cents après, le paysage des regimes de responsabilité et des sanctions encourus par les gestionnaires publics reste toutefois tres varié, selon les pays, bien que celles-ci restent généralement moins rudes que celles infligées par le passé à la famille royale française.La responsabilité politique ne concerne qu’un nombre limité de gestionnaires publics élus ou, comme les ministres, responsables devant des assemblées éelues.
La responsabilité administrative existe sous deux formes nettement differenciées. La responsabilité managériale est basée sur la fixation d’objectifs et des dispositifs souples de remunération du succès ou de sanction de l’échec en termes de reconnaissance symbolique ou materielle (promotion, augmentation de salaire, etc.). Elle devrait constituer le cadre normal d’appréciation de la performance d’un gestionnaire public, mais elle n’est pas toujours adaptée pour sanctionner des fautes graves de gestion ou des violations de la réglementation financière. Les mécanismes de mise en jeu de la responsabilité disciplinaire, qui suivent des règles procédurales plus rigides, reviennent dans ce cas au premier plan, mais ils ne sont pas efficaces lorsque les organes de contrôle et d’audit interne ne sont pas assez forts.
Cependant, dans beaucoup de pays, il est aussi possible en dernier ressort d’engager la responsabilité des gestionnaires publics devant le juge. Dans une majorité de pays, les gestionnaires publics ne sont responsables que devant les tribunaux de droit commun, civils ou pénaux. Ce système peut être perfectionné par la reconnaissance de certains crimes et délits spécifiquement liés à la gestion publique. Certaines infractions pénales peuvent par exemple dans certains systèmes judiciaries être dédiées au secteur public (comme la corruption). La protection particulière accordée à l’argent public par les juridictions civiles et pénales reste néanmoins dans la plupart des cas assez limitée.
Dans les pays francophones et lusophones ou d’autres pays influencés par le droit français comme les Pays-Bas, il existe la possibilité de mettre en cause les gestionnaires publics devant des juridictions specialisées en application de régimes de responsabilité spécifiques. Selon le pays, ces régimes se rattachent à l’une ou l’autre des familles de systèmes de responsabilité : la réparation ou la sanction.
En Europe du sud (Espagne, France, Grece, Italie, Portugal), l’Institution supérieure de contrôle a un statut juridictionnel (Tribunal de cuentas en Espagne, Cour des comptes en France, Ελεγκτικό Συνέδριο en Grèce, Corte dei Conti en Italie, Tribunal de contas au Portugal) et les gestionnaires publics peuvent être condamnés par cette juridiction à compenser tout préjudice causé au Trésor public. En France, cette responsabilité personnelle fondée sur la reparation d’un préjudice ne s’applique qu’aux fonctionnaires autorisés à manier l’argent public, appelés comptables publics.
En France, au Portugal et dans d’autres pays, notamment en Afrique (Algérie, Angola, Côte d’Ivoire, Gabon, Madagascar, Maroc, Sénégal, par exemple), Au Moyen Orient (Liban) et en Amérique latine (Brésil), les gestionnaires publics ne sont pas seulement responsables devant des juridictions spécialisées du remboursement des dommages subis par l’administration, mais sont aussi passibles de sanctions disciplinaires, comme des amendes, en cas de fautes graves de gestion ou de violations de la réglementation financière.
Un ouvrage récent de Nicolas Groper ( « Le régime de responsabilité des gestionnaires publics en droit public financier », Dalloz, Paris, 2010) présente de façon complète le système français mis en œuvre depuis 1948 par la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). Cette juridiction est un tribunal administratif spécialisé, distinct de la Cour des comptes, l’Institution supérieure de contrôle à caractère juridictionnel, chargée de décider des réparations (débets) mis à la charge des comptables publics, si des deniers publics disparaissent[2]. Dans un chapitre très intéressant, l’auteur compare ce système avec les dispositifs analogues existant dans d’autres pays.
Nicolas Groper ne dissimule pas les limites du système français, notamment le faible nombre de décisions rendus par la CDBF depuis sa création (170, à la fin de 2009). Il explique cette activité limitée par les restrictions sur le champ des gestionnaires publics responsables devant la Cour (les ministres et les élus locaux sont exclus), et des autorités habilitées à lui déférer une affaire (ministres, presidents des assemblées, juges des comptes seulement). Il rappelle que la CDBF n’est pas une juridiction permanente et a des procedures longues, en partie en raison de cette faiblesse matérielle.
L’auteur souligne toutefois l’intérêt de ne pas faire reposer seulement la sanction de la mauvaise gestion publique sur les juridictions pénales. Il mentionne la diversité des infractions réprimées par la CDBF qui vont de la meconnaissance de règles formelles d’exécution des recettes et des dépenses, de gestion des actifs, et de tenue de la comptabilité, jusqu’à l’octroi d’avantages injustifiés à autrui ou toute faute grave de gestion. Il est convaincant quand il décrit le caractère dissuasif de la Cour, et le montant significatif de certaines amendes (100 000 euros pour le gestionnaire d’une filiale de l’ex-banque publique Crédit Lyonnais).
De plus, Nicolas Groper rappelle que certaines des faiblesses de la CDBF française ont été corrigées au Portugal. Dans ce pays, l’Institution supérieure de contrôle à caractère juridictionnel peut decider elle-même d’infliger des amendes aux gestionnaires publics, en plus d’exiger d’eux la réparation du préjudice subi par l’administration. Les ministres, comme tous les autres les gestionnaires publics, sont responsables devant le Tribunal de Contas.
Il n’y a finalement pas de doute que des régimes juridictionnels de responsabilité spécifiquement conçus pour les gestionnaires publics sont complémentaires des juridictions pénales de droit commun et constituent une pratique de bonne gouvernance à encourager dans les pays en développement. Il est intéressant de noter que la Directive de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) sur les lois de finances de juillet 2009, élaborée avec l’assistance du Fonds monétaire international (FMI) crée l’obligation légale pour les Etats membres d’autoriser leurs Institutions supérieures de contrôle à infliger des amendes aux gestionnaires publics en cas de fautes de gestion. L’ouvrage de Nicolas Groper intéressera tous ceux qui seront charges de transposer cette disposition dans leurs droits nationaux respectifs et de la mettre en oeuvre.
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[1] Citation apocryphe attribuée à la reine Marie-Antoinette.
[2] Les douze membres de la CDBF sont choisis parmi les magistrats de la Cour des comptes et de la plus haute juridiction administrative, le Conseil d’Etat ; ils ne peuvent pas être démis avant la fin de leur mandat.
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